DE LA PIERRE ESSUYTE (1) AU MÉGALITHE (2) :

L'OBSERVATOIRE DE LA RÉSILIENCE À LA CALMETTE (GARD)

Combining dry stone masonry with megaliths,
the observatory for resilience at La Calmette, Gard

 

La Calmette est une petite ville du centre du Gard. Le 17 juin 2022, elle ajoutera, à la liste des monuments de la commune, un « observatoire de la résilience » (3), appellation en vogue donnée à une fabrique en forme de cube bâtie à pierre sèche sur les plans de trois jeunes architectes. Le maître d'ouvrage est le syndicat mixte des gorges du Gardon, gestionnaire de la réserve locale de la biosphère. Les concepteurs avaient été retenus à l'issue d'un concours proposant la réalisation, dans la garrigue, d'une « œuvre paysagère en pierre sèche » visible depuis un grand axe routier et accessible par sentier pédestre depuis La Calmette et signalant la présence de la réserve biologique.

Implantation, matériau, maître d'œuvre, financement

L'édifice se dresse sur le flanc d'une colline qui a été rabotée pour le passage de la Nationale 106 juste avant La Calmette en venant de Nîmes (parcelle cadastrale AM 85).

Vision du futur observatoire en arrière du talus bordant la nationale 106. Source : midilibre.fr, 14 novembre 2020.

Le matériau est constitué de pierres de carrière provenant du bassin des Antiquailles. Elles ont été offertes par l'entreprise Lafarge de La Calmette.

Un groupement d'artisans, attributaires du marché de construction, s'est chargé des travaux. Commencé en janvier 2022 et achevé en juin 2022, le cube de 4 mètres de côté occupe une surface de 16 mètres carrés et un volume de 60 m3 et pèse 150 tonnes.

Le projet a bénéficié du concours financier des fonds Leader de l'Union européenne, de la région Occitanie et de la communauté d'agglomération de Nîmes métropole. Le montant total s'élève à 55 102 euros TTC.(soit 918 euros le m3).

La vision des architectes

À en juger par sa représentation visuelle initiale, l'édifice n'est pas un cube parfait du fait que ses faces exhibent un fruit très prononcé. Dans le côté servant de façade, s'ouvre, sur toute sa hauteur, une large échancrure occupée par une volée de marches conduisant à une plateforme sommitale. Celle-ci est bordée par un parapet en pierres.

L'existence d'une plateforme et d'un parapet dans la partie à gauche du couloir d'accès, se déduit de la présence de la  silhouette d'un observateur. Source : jnews-france.fr/ 19 janvier 2022.

La maçonnerie est en assises de moellons plats, sauf aux angles, lesquels sont réalisés uniquement en grandes dalles assemblées de façon à former un chaînage (une boutisse dans un sens alternant avec une panneresse dans l'autre sens).

Les deux faces visibles sur la photo sont percées d'une succession de quatre rangées de cavités au carré dont la fonction est non pas architecturale mais biodiverse (niches destinées à accueillir des logis d'insectes, d'oiseaux, voire de hérissons grimpeurs....).

Dans la face latérale gauche du cube (par rapport à la façade), se découpe un renfoncement couvert par un arc en plein cintre de moellons. Il abrite une banquette de pierre répondant au doux nom de « banc des amoureux ».

L'exécution des artisans

Des photos de l'édifice en cours de construction permettent de se faire une idée de la manière dont l'équipe de maçons et de tailleurs de pierres a rendu la représentation des architectes.

La face arrière et la face latérale gauche au début de la construction. Le renfoncement couvert d'un cintre en bois est destiné à abriter un banc en pierre sous un arc clavé.

 

Le contraste entre les chaînes d'angle quasi-mégalithiques et la maçonnerie sèche est bien marqué. Une structure en bois sert de gabarit pour le fruit et la hauteur des parois extérieures. Source : uzessentiel.com/blog,15 avril 2022.

 

L'édifice est bien avancé, il reste à poser les dalles de faîte sur les murs. Source : objectifgard.com, 6 avril 2022.

 

Chaîne d'angle en besace entre la façade et la face latérale gauche. Source : uzessentiel.com/blog,15 avril 2022.

L'appareillage en besace (4) dans les chaînes d'angle met en œuvre d'énormes dalles de calcaire au parement soigneusement dressé (aplani), l'épaisseur d'une dalle étant équivalente en gros à celle de deux assises successives de moellons. Ces puissants chaînages alternant boutisses et panneresses enserrent et bloquent les pans de maçonnerie sèche dont les pierres, faute d''être liées par du mortier, sont simplement liaisonnées (5).

Le souci de la solidité est visible notamment dans le traitement de la tête de mur à droite du couloir d'accès : cette dernière est constituée presque entièrement de très grosses dalles, dont certaines parpaignes (faisant toute l'épaisseur du mur). Le parement de ces mastodontes exhibe les stries laissées par le poinçon et la massette du tailleur de pierre.

Le faîte du mur à droite de l'escalier est couvert d'une assise de dalles jointives de bonne épaisseur qui stabilisent la maçonnerie sous-jacente. Il en va de même du parapet de la plateforme de la partie gauche.

Sur chaque face de la bâtisse, les quatre rangées de niches du projet ont été prudemment réduites à deux, celles du bas ayant été supprimées par les bâtisseurs, sans doute conscients de l'incompatibilité de ces cavités avec la solidité des soubassements.

Hôtel à insectes sur la façade du belvédère. Source : .objectifgard.com, 6 avril 2022.

Anachronismes

À lire certains certaines annonces de la construction de l'observatoire, celui-ci est censé faire référence à la forme historique des capitelles qui parsèment la garrigue nîmoise mais également à des formes d'architecture contemporaine. Outre le fait que les dites formes contemporaines restent nébuleuses (aucune création moderne particulière n'est évoquée), la comparaison avec les modestes capitelles nîmoises historiques servant d'abris aux rachalans (6), est quelque peu exagérée (aucune morphologie particulière n'est indiquée mais, surtout, il n'était pas question, à l'époque de leur construction, de matériel d'extraction en carrière, de véhicules de transport entre carrière et site, d'engin de levage sur place).

On peut dire par contre que l'ouvrage n'est pas sans rappeler, toutes proportions gardées certaines créations en pierre sèche de ce qu'il est convenu d'appeler le land art (« l'art dans la nature »), notamment Striding Arch et Stone House d'Andy Goldsworthy.

L'observatoire dans son état d'achèvement en juin 2022. Source :
http://lacalmette.fr/observatoire-de-la-resilience/ Mairie de la Calmette, 6 juin 2022.

Si le mégalithe de La Calmette ne laisse pas indifférent par son caractère imposant, son style dépouillé et le tour de force constructif qu'il représente, il reste à savoir quel degré de résilience il opposera au passage des années et des visiteurs.

 

NOTES

(1) Cette expression en français, rencontrée dans des actes notariés nîmois du XVIIe siècle, est synonyme de « pierre sèche ». Elle vient du participe latin exsuctus, « desséché », « tari», « mis à sec ».

(2) En archéologie, un mégalithe est un « monument du Néolihique ou du début de l'époque du bronze, constitué par un ou plusieurs gros blocs de pierre bruts ou peu dégrossis et qui servait notamment de tombeau ou de sanctuaire ». Le terme est également utilisé pour décrire des monuments érigés de par le monde à différentes époques (Lexique du Centre national de ressources textuelles et lexicales).

(3) Notion rencontrée dans nombre de domaines (résistance des matériaux, mécanique, physique, informatique, écologie et même psychologie), la « résilience » désigne au sens premier la résistance d'un matériau aux chocs (Lexique du CNRTL).

(4) Une besace d'angle est la rencontre de deux pans de maçonnerie qui forment angle et dont les éléments sont liés d'une assise sur l'autre ; les éléments en panneresse dans un pan sont en boutisse dans l'autre. Synonyme : chaîne d'angle en besace (Christian Lassure, La maçonnerie à pierres sèches : vocabulaire, Études et recherches d'architecture vernaculaire, CERAV, Paris, No 22, 2002, pp. 6-7).

(5) La liaison est l'état d'une maçonnerie dont les pierres se recouvrent suffisamment d'une assise sur l'autre (elles sont en liaison ou liaisonnées). Synonyme : liaisonnement (Christian Lassure, La maçonnerie à pierres sèches : vocabulaire, Études et recherches d'architecture vernaculaire, CERAV, Paris, No 22, 2002, p. 10).

(6) Ouvrier agricole nîmois qui travaillait pour un gros propriétaire rural mais possédait et cultivait un petite lopin gagné sur la garrigue.

SOURCES

L’Observatoire de la résilience, un projet paysager en pierre
https://www.midilibre.fr/2020/11/14/lobservatoire-de-la-resilience-un-projet-paysager-en-pierre-9199388.php
Midi Libre, 14 novembre 2021

nbesse, L'observatoire de la résilience, à La Calmette
https://www.uzessentiel.com/blog/sorties/l-observatoire-de-la-resilience-a-la-calmette.html
uzessentiel.com/blog,15 avril 2022

Marie Meunier, LA CALMETTE. L’Observatoire de la résilience débute sa construction
https://www.objectifgard.com/2022/01/19/la-calmette-lobservatoire-de-la-resilience-debute-sa-construction/
Objectif Gard, 19 janvier 2022

Isabelle Rosel, Observatoire de la résilience
http://lacalmette.fr/observatoire-de-la-resilience/
Mairie de la Calmette, le 6 juin 2022

Syndicat mixte des gorges du Gardon, Communiqué de presse, Observatoire de la résilience dans la Réserve de biosphère des gorges du Gardon, lancement des travaux, s.d.
http://www.professionnels-pierre-seche.com/userfiles/files/Communique_de_presse_lancement_travaux_Observatoire_resilience.pdf


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© Christian Lassure
14 juin 2022 / June 14th, 2022

 

Référence à citer / To be referenced as :

Christian Lassure
De la pierre essuyte au mégalithe : l'observatoire de la résilience à La Calmette (Gard) (Combining dry stone masonry with megaliths, the observatory for resilience at La Calmette, Gard)
http://pierreseche.chez-alice.fr/observatoire-resilience.htm
14 juin 2022

 

ORIENTATION SITOGRAPHIQUE

 

         La cabane qui valait 1 million de francs (2003)

 

Fabriques en pierre sèche modernes à Buoux  (2012)

 

« L'œil de la tempête » : une spirale en pierre sèche ? (2017)

 

Pierre sèche mémorielle : l'arbre du souvenir de Kerry Landman (2017)

 

« Gargas : la plus haute borie du monde s’est écroulée » (2020, sur pierreseche.com)

 

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