Christian Lassure Cet article fait suite à la publication sur le présent site, en 2018, de notre étude intitulée « Une curiosité architecturale : les murs à thangka des grands monastères tibétains ». Elle recensait les bâtiments spécialement construits pour l'exposition rituelle de thangkas (ou tangkas) monumentaux (dits aussi geku ou kiku en tibétain ), lors de fêtes liées aux écoles du bouddhisme tibétain. Faute d'un bâtiment-écran voué à cette tâche, l'exposition d'un grand thangka (ou thangka géant) se faisait au moyen de deux succédanés : Si les caractéristiques et le fonctionnement de ces dispositifs sont rarement décrits dans le détail, l'examen de photos et de vidéos mises en ligne sur le Web par le Tourisme permettent de s'en faire une idée moins approximative.
1 - Plan incliné La solution du plan incliné est attestée pour les monastères de Drépoung, Ganden, Tsourphou, Labrang, Taktsang Lhamo, Mati Si, Wudang et Rongwo, mais il est possible que d'autres cas existent qui n'ont pas attiré l'attention jusqu'ici.
1.1 - Monastère de Drépoung Le monastère de Drépoung (ou Drépung) , dans la ville-préfecture de Lhassa, voit le déploiement, sur le versant d'une colline proche, d'un thangka géant de 30 mètres de côté, le 30e jour du 6e mois lunaire (1), pour marquer le début de la fête du Shoton (la « fête du yaourt ») (2). Transporté depuis la resserre où il est conservé, jusqu'à une armature métallique inclinée, où il est déroulé et dévoilé par les moines au lever du soleil, le thangka représente Sakyamuni (ou Shakyamuni), le fondateur du bouddhisme, entouré de diverses déités.
En 2016, à l'occasion du 600e anniversaire de la fondation de Drépoung, le thangka de Sakyamuni, vieux de cinq siècles, fut remplacé, pour en assurer la préservation, par un nouveau thangka représentant l'image de Maitreya, le bouddha de l'avenir (3).
(1) Victor Chan, Tibet. Le guide du pèlerin, Éditions Olizane, 1998, pp. 1179-1180 (« Festivals tibétains »). (2) Festival Begins in Tibet, Beijing Review, 5 septembre 2011. (3) Daqiong and Palden Nyima, Giant thangka on display at Tibetan monastery, govt.chinadaily.com.cn, updated Aug 17, 2023.
1.2 - Monastère de Ganden Dans les années 1990, le monastère de Ganden utilisait un versant de colline pour exposer le grand thangka de Sakyamuni. Une photo prise par Gérard Labre en août 1990 nous restitue le spectacle de cette cérémonie (4). Aujourd'hui, toutefois, l'événement se tient dans l'enceinte même du monastère reconstruit, sur la façade d'un grand bâtiment rouge (voir la partie 2, « Façade de bâtiment central », infra).
(4) Terris Temple and Leslie Nguyen, The Giant Thangkas of Tsurphu Monastery, Asianart.com, December 5, 1995.
1.3 - Monastère de Tsourphou Le monastère kagyou (ou kagyu) de Tsourphou (ou Tsurphu), siège du XVIIe karmapa, dans la ville-préfecture de Lhassa, affiche, chaque dixième jour du quatrième mois lunaire de l'année tibétaine. un thangka de Sakyamuni, de 35 mètres de long sur 23 mètres de large, sur une plate-forme déclive aménagée au flanc d'une colline faisant face au monastère. Ce thangka, achevé en 1994, remplace celui confectionné au XVIIe siècle, disparu après 1960. Le haut de l'aire d'exposition est bordé d'un dais sous lequel se tiennent des moines tandis que le bas est bordé d'une terrasse soutenue par un mur pour accueillir le public et le reste des moines. Deux murets à degrés bordent l'aire latéralement (5). On distingue, à la bordure supérieure du thangka, le voile de protection jaune remonté et enroulé.
(5) Terris Temple and Leslie Nguyen, op. cit.
1.4 - Monastère de Labrang Au monastère de Labrang, à Xiahe, xian de Xiahe, préfecture autonome tibétaine de Gannan (province du Gansu), les thangkas sont exposés, pendant les fêtes du Monlam (« fêtes des souhaits »), sur une aire dallée à flanc de montagne, encadrée d'un escalier de chaque côté et bordée d'un mur indépendant en haut et d'une terrasse soutenue ou banquette.en bas. Le poète français Jean Dif, séjournant à Labrang en 2007, relate par le détail le déroulement et le dévoilement du thangka d'Amitāyus : « Le tanka enroulé est amené parallèlement au bord supérieur du mur [comprendre la plate-forme, NDLR]. Des moines s'alignent sur les deux côtés pentus; d'autres moines prennent place en dessous du rebord supérieur et commencent à dérouler lentement le tissu en reculant sur la déclivité du mur. Trois bandes de couleur s'étirent progressivement: une orange plus large au milieu, deux rouges plus étroites de chaque côtés. Les moines s'affairent, afin que le déploiement s'effectue correctement, sans faire de plis. Parvenu au rebord inférieur du mur, les moines, qui viennent de dérouler le tanka, se retirent; la bande jaune du milieu se fend par le bas, comme un rideau s'ouvre, pour découvrir petit à petit, en la laissant deviner, l'image d'Amitabha, bodhissattva de la lumière infinie, dont le Panchen lama est la réincarnation. » (6).
(6) Jean Dif, Carnet de route d'un voyage en Amdo, février-mars 2007 - (Suite 2), http://jean.dif.free.
1.5 - Monastère de Taktsang Lhamo Une rampe maçonnée, encadrée de deux escaliers latéraux et bordée d'un mur de pierres en partie haute, est visible au monastère de Taktsang Lhamo (ou Langmusi en chinois), xian de Luqu, préfecture tibétaine autonome de Gannan, province du Gansu. Lors de la fête du Mönlam, ce plan incliné sert à exposer aux regards des fidèles un thangka géant représentant le Bouddha.
1.6 - Temple Mati Si Un vaste talus herbeux en contrebas du temple Mati Si (le temple du « sabot de cheval »), dans le Xian autonome yugur de Sunan, ville-préfecture de Zhangye, province du Gansu, sert à exposer un thangka géant. Cinq escaliers en pierre, parallèles entre eux, matérialisent l'emprise au sol de l'aire d'exposition (7).
(7) Mati Temple Grottoes in the Cliff – China, tsemrinpoche.com, 14 mai 2019.
1.7 - Monastère de Wudang Dans le monastère de Wudang, à Baotou, en Mongolie-Intérieure (Chine), un thangka de 20 mètres de large sur 16,8 mètres de haut est exposé, au début du 8e mois lunaire, sur un plan incliné dallé épousant la pente de la montagne (8).
(8) « Gigantic Thangka Displayed at Wudangzhao Monastery », chinadaily.com, 14 septembre 2015.
1.8 - Monastère de Rongwo Au monastère de Rongwo à Longwu, préfecture tibétaine autonome de Huangnam, Qinghai, un grand plan incliné est aménagé sur un versant de colline. Il accueille un grand thangka lors de la fête du Losar (le Nouvel An tibétain). Postés sous le mur bordant le haut du plan incliné et sur les côtés, les moines ont remonté le voile orange qui cachait l'image du Bouddha.
2 - Façade de bâtiment centralUn troisième moyen employé pour présenter un thangka monumental à la dévotion des fidèles, est la façade d'un grand bâtiment central donnant sur une esplanade. C'est le cas à Putuo Zongcheng, Ganden, Galden Jampaling, Lhassa (au Potala) et à Hémis.
2.1 - Temple de Putuo Zongcheng Au temple de Putuo Zongcheng, à Chengde, dans la province de Hebei (Chine), les thangkas géants sont exposés sur la façade du bâtiment principal.
2.2 - Monastère de Ganden Dans Ganden reconstruit, une tapisserie de Tsongkhapa, le fondateur de l'école guélougpa, est suspendue depuis le sommet de la façade d'un bâtiment rouge édifié au centre du cirque naturel. Ce dispositif remplace l'ancien plan incliné sur un versant de colline (9). Le boyau du thangka et de son voile protecteur est déposé par les moines le long de la terrasse bordant la façade. Deux cordes descendues du sommet hissent et déroulent la tapisserie. Le voile jaune est ensuite retiré par en haut, découvrant la grande figure monastique.
(9) Ganden Monastery, chinaguide.com.
2.3 - Galden Jampaling Au monastère de Galden Jampaling, à Chamdo (région autonome du Tibet), un grand bâtiment en pierre à quatre niveaux sert à exposer un thangka monumental représentant Jampa. Le thangka est sorti des réserves et exposé chaque trentième jour du cinquième mois lunaire (10).
(10) Victor Chan (op. cit., p. 511) évoque ce dispositif mais la hauteur indiquée (18 m) pourrait suggérer un autre bâtiment. « Ce grand bâtiment en plaques de pierre se dresse au sud-est du Kumbum. Utilisé pour exposer un énorme thangka en tissu (16 m sur 8), il constitue l'édifice le mieux préservé et le plus haut (18 m) du complexe. Des escaliers intérieurs en pierre relient ses quatre niveaux »,
2.4 - Potala Au palais du Potala, à Lhassa, la vaste façade inférieure blanche orientée au sud servait de support à deux grands thangkas exposés en même temps (11). Ils étaient suspendus depuis la rive du toit de la partie gauche du bâtiment à la fin des fêtes du nouvel an tibétain (12).L'un d'eux, proprement gigantesque, celui d'Amitābha (le bouddha des bouddhas), fait 55,8 mètres de haut sur 40 mètres de large. L'autre thangka, moins large, représentait la déesse Tara.
(11) Heinrich Harrer désigne comme support des thangkas « the lower white frontage of the Potala » (Return to Tibet: Tibet After the Chinese Occupation, J. P. Tarcher / Putnam, 1998, p. 183). (12) Brian Barry, Potpourri, Korean Heritage website, summer 2008: «The giant tangka of Amitābha in Potala Palace is reportedly 55.8 meters high and 40 meters wide ».
2.5 - Hémis Autre exemple de recours à une façade de bâtiment monastique pour l'affichage d'un grand thangka : le monastère d'Hémis au Ladakh (Inde), lequel relève de l'école drukpa. Tous les 12 ans, le premier jour de la fête annuelle célébrant la naissance de Padmasambhava, le fondateur du bouddhisme tibétain, un thangka à son effigie est déployé sur la façade d'un bâtiment de deux étages (sur rez-de-chaussée) bordant la cour du monastère. Cette fête se tient le 10e jour du 5e mois du calendrier tibétain (soit à la charnière de juin et de juillet). La dernière exposition remonte à 2016.
2.6 - Dzong de Paro L'usage de façades de bâtiments est attesté également dans les monastères du Bhoutan, notamment au dzong (forteresse) de Paro, dans le district du même nom. Appelé localement thongdrol, ou thongdrel (littéralement « libération à la vue »), le thangka est apporté, sous forme de rouleau, au bas du bâtiment, puis déroulé et hissé jusqu'au niveau de la rive du toit après avoir été attaché (à l'aide d'anneaux ?) à une longue tringle d'acier. Lors du levage, la tringle doit rester parfaitement horizontale. Une fois en place, le tissu doit être bien lissé pour éviter les plis. Le thangka, qui fait 15 m de côté, est consacré à Padmasambhava, alias gourou Rinpoché. Il est sorti de sa resserre chaque année, au printemps, le dernier jour de la fête religieuse (tséchu).de Paro (soit le 15e jour du second mois lunaire bhoutanais). Du moins, c'était le cas dans les années 1990 (13).
(13) Jan Fontein, Notes on the Tshechu Festival in Paro and Thimphu, Bhutan, chapitre VIII de India and Beyond: Aspects of Literature, Meaning, Ritual and Thought (Dick van der Meij ed.), Routledge, 2013, 711 pages (first published in 1997), p. 155-157.
Avec cette brève évocation des thongdrols bhoutanais, nous clôturerons cette deuxième partie de notre inventaire des supports de thangkas monumentaux, en espérant que des recherches plus poussées seront entreprises à notre suite notamment sur
© Christian Lassure
Référence à citer : Christian Lassure Plans inclinés et façades de bâtiments pour l'expositon de thangkas dans les monastères du bouddhisme tibétain 20 mai 2024
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