LES DEUX GRANGEONS EN PIERRE SÈCHE
The two dry stone barns of the place known as Clapeyrouse at La Roque-sur-Pernes, Vaucluse Christian Lassure Sur les hauteurs de La Roque-sur-Pernes (Vaucluse), au lieu-dit Clapeyrouse, au bord de la route départementale 57, on remarque un alignement de deux grandes cabanes de pierre sèche en forme de nef, disposées l'une à la suite de l'autre (1). Un panneau explicatif à l'entrée du site les qualifie de « bories », terme touristique qui a supplanté celui, vernaculaire ou vulgaire, de « cabanes ».
La cabane avant est intacte et mesure extérieurement 15,90 m de longueur pour 4,60 m de largeur et 4,25 mètres de hauteur. Elle consiste en quatre encorbellements symétriquement opposés deux à deux, deux longs (les goutterots) et deux courts (les pignons). Son entrée s'ouvre au milieu d'un des côtés longs. L'intérieur est divisé par deux refends en trois pièces en enfilade (2). Les cailloux visibles sur le sol le long des bâtiments et du même côté (celui où s'ouvre l'entrée du bâtiment avant) sont vraisemblablement les vestiges de l'équarrissage des pierres calcaires ayant servi à la construction des deux nefs. Le nom du lieu-dit (Clapeyrouse, où l'on devine l'adjectif provençal clapeirouso, « couvert de tas de pierres, « pierreux », « rocailleux », dérivé de clap, « éclat de pierre, caillou ») n'est pas sans évoquer le caractère lithique de l'endroit(3).
La cabane arrière mesurait 8,20 m de longueur sur 4,60 de largeur lorsqu'elle était encore intacte. Elle est séparée de la première par un intervalle de 2,10 m. Sa partie postérieure a été démontée pour en récupérer les pierres, ce qui permet de voir la coupe transversale du restant et de constater l'épaisseur considérable des parois en encorbellement et de la partie sommitale au-dessus du plafond de dalles. La section subsistante est en voie d'effondrement comme l'indique, dans les parois opposées, le dévers des pierres qui sont en train de basculer vers l'intérieur. L'entrée est ménagée dans le pignon encore debout.
L'entrée de chaque cabane est construite selon le même principe : faute d'une dalle-linteau d'une longueur suffisante, les bâtisseurs ont fait converger l'un vers l'autre les côtés de chaque embrasure, ce qui donne une largeur moindre au somme qu'à la base.
L'entrée de la cabane avant donne dans la pièce centrale, laquelle est séparée des pièces en bout par un mur de refend montant depuis le sol jusqu'au plafond de dalles ; la communication entre les trois pièces se fait par deux ouvertures obtenues par l'interruption des refends côté façade.
Dans les pièces, il n'y a pas, à mi-hauteur, de poutres placées dans le sens de la largeur de l'édifice et susceptibles de porter un plancher de dalles comme on en rencontre dans certaines nefs similaires à Gordes (2).
L'imbrication des pierres aux angles formés par les murs longs avec d'une part les murs courts et d'autre part les refends, est le signe que les murs de la nef et ceux des cloisons ont été montés en même temps. Le fait que les linteaux des portes en enfilade soient profondément encastrés dans la maçonnerie des murs longs plaide également en faveur d'une construction simultanée.
Ces deux longs vaisseaux de pierre ne sont pas faits pour l'habitation : il n'y a pas de cheminée ni de placards dans les parois intérieures. Ils servaient en fait à serrer provisoirement les gerbes de blé avant leur dépiquage par des animaux sur une aire proche. Ils ont de rares ouvertures (une porte d'entrée dans un mur long ou dans un pignon, un fenestron dans un pignon) pour éviter les intrusions. Ce sont des grangeons (en provençal granjoun, « petite grange, petite ferme, petite cabane », diminutif de granjo, « grange, lieu où l'on serre le blé en gerbes ») (4). Par la fonction, ils sont à rapprocher des granges-greniers de Gordes (XVIIIe et XIXe siècles) (5) et des granges de Viens (XVIIe et XVIIIe siècles) (6). NOTES (1) Ces deux cabanes sont bien à La Roque-sur-Pernes et non à Saumane-de-Vaucluse, contrairement à ce qui est indiqué dans nombre de sites web. (2) Sur l'architecture de ces grandes cabanes en forme de « carène renversée », cf. notre étude Les Cabanes à Gordes (Vaucluse) : architecture et édification, in L'architecture vernaculaire rurale, supplément No 2, 1980, CERAV, Paris, pp. 143-160. (3) Cf. Lou Tresor dóu Félibrige ou Dictionnaire provençal-français, tome premier, A-F, Marcel Petit, Arles, p. 565, rubrique CLAPEIROUS, OUSO, OUO. (4) Cf. Lou Tresor dóu Félibrige ou Dictionnaire provençal-français, tome second, G-Z, Marcel Petit, Arles, p. 84, rubrique GRANJOUN. (5) Édifices de plan rectangulaire et en forme de carène renversée, consistant en quatre encorbellements symétriquement opposés deux à deux, deux longs (goutterots) et deux courts (pignons). Des spécimens en sont visibles dans l'ensemble muséologique baptisé « Village des Bories », au quartier des Savournins à Gordes. (6) Bâtiments de plan rectangulaire en maçonnerie liée au mortier de chaux, à toiture à une ou deux pentes couvertes en lauses ou en tuiles canal sur voûte clavée en berceau, et à entrée en pierres de taille. Cf. notre étude en ligne Les granges de Viens (Vaucluse) : étude architecturale et morphologique, in L'architecture vernaculaire, tome 34-35 (2010-2011), 13 mars 2010. Pour imprimer, passer en format paysage © Christian Lassure Référence à citer / To be referenced as: Christian Lassure Le groupe de cabanes No 213 du «Village des Bories » à Gordes (Vaucluse) |