VICISSITUDES DES CABANES EN PIERRE SÈCHE

 7 - La longue souffrance des cabanes de Theizé-en-Beaujolais (Rhône)

 

VICISSITUDES SUFFERED BY DRY STONE HUTS

7 - The unending suffering of the cabanes of Theizé, Rhône

Christian Lassure

En recherchant des photos de cadoles en pierre sèche, nous sommes tombé sur le blogue « africantal » et la page que son auteur, Vincent Lejoly,  y consacre au « pays des pierres dorées », autrement dit Theizé-en-Beaujolais, dans le département du Rhône. Ayant assuré la publication de deux articles sur les cabanes (1) en pierre sèche de cette commune dans la revue L'architecture vernaculaire de 1981 et 1983 (2), nous avons reconnu aussitôt les édifices dont nous avions fait le relevé en juillet 1981.

Mais quelle ne fut pas notre surprise en apercevant la photo d'une cabane de plan rectangulaire dont tout un pan manquait, depuis le faîte jusqu'à la mi-hauteur du mur porteur ! Il s'agissait de la cabane No 2 de l'article de Madeleine Cahen. Le commentaire de Vincent Lejoly n'avait rien de rassurant :

En retrait du chemin, un peu plus haut une troisième cadole est en train de rendre l'âme.
Et ça n'est pas vieux.
Ca ne s'est pas fait tout seul.
J'ai constaté qu'au pied de la ruine un feu de camp avait été submergé par l'éboulement.
M'est avis qu'y en a qui ont dû avoir chaud aux fesses.
Sur le plateau du Bansillon, le sentier passe au pied d'une tour Chappe en mauvais état.
Faites quelque chose monsieur le Maire !

De quoi être effondré ! © Vincent Lejoly (2009)

Nous ignorons ce qui s'est passé exactement mais, à regarder de plus près ce qui restait de la cabane, notre première impression fut qu'elle avait été victime d'amateurs de belles pierres : en effet, les grandes pierres disposées alternativement en boutisses et en panneresses à l'angle côté façade, manquaient sur la moitié de la hauteur du mur porteur, côté façade ; elles ne pouvaient être tombées toutes seules, elles avaient dû être arrachées.

Les éboulis à l'extérieur © Vincent Lejoly (2009)

 

Les éboulis à l'intérieur. On aperçoit, dans l'angle du fond, la pièce de bois servant de trompe au passage du plan quadrangulaire du corps de base au plan circulaire de la voûte.  © Vincent Lejoly (2009)

 

Une des fragiles traverses en bois servant de couvrement à l'entrée © Vincent Lejoly (2009)

La cabane démolie avait plusieurs caractéristiques remarquables :
1/ Elle se dressait à l'extrémité d'une muraille épaisse de 3,60 m mais était séparée de celle-ci par une large échancrure formant comme un patio sur lequel donnait son entrée.
2/ La dalle coiffant la voûte (à l'intérieur) était soutenue par deux traverses de bois entrecroisées.
3/ Quatre trompes en bois permettaient le passage du plan carré du corps de base au plan circulaire de la voûte (rôle d'ordinaire dévolu à une longue et épaisse dalle placée horizontalement en travers de chaque angle).
4/ Une rive de grandes dalles saillantes marquait le passage du corps de base carré au couvrement en forme de pyramide aux angles arrondis.

L'intrados de la voûte au tout début des années 1980 : deux planchettes entrecroisées, placées sous l'avant-dernière assise circulaire, soutiennent la dalle de fermeture par l'intermédiaire de deux cales © René Corgier

En nous reportant aux photos anciennes de la cabane, la thèse initiale du vandalisme nous parut toutefois moins assurée. Le chaînage de l'angle côté façade y avait l'aspect d'une colonne, ses éléments étant mal liaisonnés avec la maçonnerie des murs avant et latéral. Deux disjointures parallèles zizaguaient de bas en haut du mur latéral, signes d'un bouclement de la besace d'angle. Il se pourrait donc bien que l'angle ait lâché, entraînant l'écroulement d'un large pan du mur latéral et du couvrement au-dessus.

Le côté de l'édifice au tout début des années 1980 : le chaînage d'angle, mal fagoté, part vers l'avant, faisant apparaître des disjointures © Christian Lassure (1981)

 

Les deux disjointures zébrant la paroi à gauche du chaînage d'angle © Christian Lassure (1981)

Quelle que soit la cause de la ruine de la cabane, cet avatar pose la question de l'opportunité de faire de la publicité à des constructions en pierre sèche, par nature fragiles, et d'en faciliter l'accès tout en les laissant sans surveillance. Si les cabanes en pierre sèche sont un «patrimoine», alors il faut les traiter comme tel, les consolider quand elles présentent des défauts de construction et ne pas les laisser devenir des éminences à escalader le dimanche en famille.

La cabane encore intacte (ou quasiment) avec son patio. © Dominique Repérant (2002)

Theizé compte désormais deux éléments de moins dans son « petit patrimoine rural » : la cabane No 2 de Madeleine Cahen s'ajoute à la «cabane des Autrichiens», une ancienne bergerie (d'après René Corgier) que l'on a laissé s'effondrer.

La « cabane des Autrichiens » © Photo Dominique Repérant (2002)

 

La « cabane des Autrichiens » © Photo Dominique Repérant (2002)

 

NOTES

(1) Le véritable nom vernaculaire des cabanes à Theizé était tout simplement cabane, d'où les appellations « Cabane des Autrichiens », «Cabane Chanel», « Cabane Voyle », etc. Les désignatifs cadole et caborne ne sont pas vernaculaires à Theizé. Rappelons que le terme cabane servait à désigner la cabane de pierre sèche également dans les causses quercinois au sud de la vallée du Lot, au Mont d'Or lyonnais (Rhône), à Sommières, à Uzès et dans le massif des gorges du Gardon dans le Gard, à Gigean dans l'Hérault, à Cornillon-Confoux dans les Bouches-du-Rhône, à Gordes en Vaucluse (où il servait à qualifier les grandes nefs de pierre sèche du lieu).

(2) À savoir :
- Madeleine Cahen, Les cabanes en pierres sèches de Theizé-en-Beaujolais (Rhône), in L'Architecture vernaculaire, t. 5, 1981, pp. 66-70;
- René Corgier, Constructions en pierre sèche en Beaujolais. Les cabanes de Theizé [Rhône], in L'Architecture vernaculaire, t. 7, 1983, pp. 20-31.

Autres pages sur les cabanes de Theizé présentes dans les sites pierreseche.com et pierreseche.chez-alice.fr :

- Christian Lassure (texte), Dominique Repérant (photos), « La cabane des Autrichiens » à Theizé (Rhône) : une bien triste fin

- Christian Lassure, Excursion dominicale (Commune de Theizé, Rhône) (1903), dans Cabanes en pierres sèches et photos privées de la 1re moitié du XXe siècle

- Christian Lassure, Enclos du Bancillon à Theizé (Rhône), in Les couvrements d'entrées dans les cabanes en pierre sèche : principes, exemples, remplois
- Message de Bruno de Maricourt en date du 12 novembre 2002, dans Questions & Réponses 2002
- Christian Lassure (texte), Dominique Repérant (photo), Ancien mur de vigne en pierre sèche à Theizé-en-Beaujolais (Rhône)
 


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© Christian Lassure
24 mai 2010 / May 24th, 2010 - Complété le 3 juin 2010 - 21 juin 2010 / Updated on June 3rd, 2010 - June 21st, 2010

Référence à citer / To be referenced as :

Christian Lassure
Série : Vicissitudes des cabanes en pierre sèche (Series: Vicissitudes suffered by dry stone huts)
 7 - La longue souffrance des cabanes de Theizé-en-Beaujolais (Rhône) (The unending suffering of the cabanes of Theizé-en-Beaujolais Rhône)
http://pierreseche.chez-alice.fr/souffrance_theize.htm
24 mai 2010

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