QUE FAUT-IL ENTENDRE PAR « MUANDE » ? What is "muande" supposed to mean? Christian Lassure
« Muande » et toponymie « Muande » (fém.), ou « Muandes » (fém. plur.), avec une majuscule à l'initiale, est aujourd'hui un toponyme qui se rencontre dans les départements des Hautes-Alpes et de l'Isère. Le terme français et son équivalent francoprovençal muando viennent du latin mutanda, gérondif du verbe mutare, « changer de place ». En ancien français, muer veut dire « changer ». En francoprovençal, le verbe mua ou muda signifie « changer de place ». « Muande » et transhumance alpine « Muande » et polysémie Décrivant l'habitat montagnard de la vallée de Ceillac (Hautes-Alpes) à la fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle, l'historien Fabrice Mouthon définit la muande comme une « parcelle entière contenant maison, grange, stalle, pré et champs » dans un hameau situé au pied des pâtures d'altitude. La possession d'une muande permettait à son propriétaire forain (non résident) d'accéder à l'alpage proche à l'instar des résidents du hameau, chaque muande confinant par au moins un de ses côtés à une draille menant à l'alpage (12). Dans son ouvrage sur les alpages dans le pays de Beaufort en Savoie du Moyen Âge au XVIIIe siècle (1993), l'ethnologue Hélène Viallet donne « muande » comme « synonyme de "remue" », terme qu'elle définit comme « Déplacement du troupeau et du personnel de l'alpage, de chalet en chalet vers un nouveau pâturage», le « chalet » étant un « Bâtiment d'alpage, servant d'abri et de lieu de fabrication du
fromage ». Elle ajoute que « Chaque montagne peut comprendre jusqu'à une douzaine de remues, avec autant de bâtiments » (13). Dans le volume 25 de la revue Observations sur la physique, sur l'histoire naturelle et sur les arts (1784), le médecin Léonard Joseph Prunelle de Lière rapporte que « Ce mot muandes est employé dans plusieurs endroits des montagnes de Chaillot-le-Vieil, du petit Chaillot & du Valgodemar ; [que] par-tout il paraît désigner des pâturages élevés». Et l'auteur de préciser que « Ces pâturages servent à des troupeaux, que l'on fait passer de l'un à l'autre, à mesure qu'ils ont dévoré les herbes du premier (14).
« Petite maison de campagne » Dans Lettres sur les vallées de Lanzo, opuscule en français publié à Turin en 1823, Louis Francesetti, comte de Mezzenile, décrit la vie pastorale dans les vallées francoprovençales du Piémont, notamment dans les « prairies » de Mezzenile, commune dépendant de la ville de Turin. Dans ces prairies où l'on fait paître les vaches en automne, après qu'elles sont descendues des hautes montagnes où elles passent l'été, des habitants possèdent « quelques pâturages avec une petite maison et une étable», ce qu'on appelle muanda (muande en français). « Ces muandes sont leurs maisons de campagne », écrit Louis Francesetti, « et sont situées un peu plus bas que les chalets, qu'on appelle alpes» et qui sont le «le simple assemblage d'une chambre à feu sans cheminée, d'une cave pour le lait, d'une autre pour les fromages, et d'une grande étable capable de contenir depuis
cinquante jusqu'à cent vaches» (15). Jean-Armand Chabrand et Albert de Rochas d'Aiglun, dans leur Patois des Alpes Cottiennes (briançonnais et vallées vaudoises) (1877) (16), donnent « muande » comme équivalent de « chalet » («Muande, s. f. Chalet. Maison de pasteur avec un bercail [bergerie] ») et définissent « chalet » comme «Habitation d'été à l'usage des gardiens des troupeaux. Maison où l'on fait le fromage ». Et d'ajouter : « Pendant l'alpage, c'est-à-dire pendant la saison où les troupeaux se nourrissent au dehors, ceux-ci montent de chalet en chalet, épuisant les pâturages au fur et à mesure qu'ils arrivent à maturité ; les troupeaux redescendent ensuite, habitant successivement les mêmes chalets en ordre inversé » (17).
À la même époque, en 1879, E. Guigues, membre de la sous-section d'Embrun du Club alpin français, écrit qu'au Mont-Guillaume, «Il y a de nombreuses clairières pleines de muandes (chalets) où s'agite tout un monde pittoresque de bœufs, de vaches, de chevaux, de bergers, de chevriers qui se jouent au soleil ou sous l'ombre si lumineuse des arbres » (18).
« Habitat d'été » Pour le géographe Philippe Arbos, auteur de l'ouvrage La vie pastorale dans les Alpes françaises (1923), les « muandes » sont des « habitats d'été dans le Dauphiné méridional » (19). Le géographe André Allix, dans son ouvrage Un pays de haute montagne: l'Oisans. Étude géographique (1929), observe que « Mutandam, la muande, s'appliquait indifféremment, semble-t-il, à des alpages ou à des chalets ou étables». « Ce terme, ajoute-t-il, a perdu son sens usuel et n'est plus considéré que comme nom propre » (20). Au vu des variations de sens exposées ci-dessus, la polysémie du terme muande selon les époques et les régions ne fait guère de doute. On est cependant en droit de se demander d'où sort l'acception inédite de « cabane de berger » avancée par André Pégorier. Son glossaire, Les noms de lieux en France, commencé en 1959, est une compilation de termes dialectaux destinée aux opérateurs de l'IGN dans leurs enquêtes de terrain pour l'établissement de la nouvelle carte au 1:25 000e. De cette compilation, Sylvie Lejeune, secrétaire et biographe de Pégorier, déclare qu'elle « n'a aucune prétention scientifique » (21). NOTES (1) André Prégorier, Les noms de lieux en France, 3e édition revue et complétée par Sylvie Lejeune et Élisabeth Calvarin, Commission de toponymie, IGN, Paris, 2006, 519 p., p. 322. La définition de mudando / mutando / muande est apparemment empruntée à Lou Tresor dóu Felibrige de Frédéric Mistral. (2) Robert Luft, Vocabulaires et toponymie des pays de montagne, Club alpin français de Nice-Mercantour, 2006, 124 p., p. 89. (3) J.-A. Chabrand et A. De Rochas d'Aiglun, Patois des Alpes Cottiennes (briançonnais et vallées vaudoises), Maisonville et fils et Honoré Champion, 1877, p. 92. (4) Hubert Bessat, Claudette Germi, Les noms du patrimoine alpin : atlas toponymique II, Savoie, Vallée d'Aoste, Dauphiné, Provence, Ellug, 2004, 462 p. (5) Roger Brunet, Trésor du terroir. Les noms de lieux de la France, CNRS Éditions, 2016 (livre électronique Google). (6) Abbé Moutier, Les noms de rivières en Dauphiné : étude philologique, Montélimar, 1881, p. 12. (7) Ernest Nègre, Toponymie générale de la France, Librairie Droz, 1998, p. 1420. (8) La transhumance alpine, qui a connu son âge d'or jusqu'à la Première Guerre mondiale, est aujourd'hui atrophiée, voire disparue, du fait de l'exode rural et du déclin de l'agriculture de montagne ; cf. Roger Béteille, article « transhumance », Encyclopedia Universalis. (9) Le « chalet » d’alpage est au sens originel un pâturage bien situé où l’on rassemble le troupeau (Valais et Vallée d’Aoste) ; deuxièmement un enclos pour le troupeau ; troisièmement une habitation de berger et une fromagerie (Beaufortain, Suisse romande). (10) Paul Guichonnet, Article « Remue », Encyclopedia Universalis. (11) Jean-Claude Duclos, Marc Mallen, Transhumance et diversité : du passé au présent, Revue de géographie alpine, t. 86, No 4, 1998, pp. 89-101, en part. p. 89 : « Cette organisation de la vie en trois temps et trois espaces principaux, l'hiver dans l'habitat principal près des cultures, le printemps ou l'automne aux ''mayens'' [comprendre « montagnettes »] parmi les prés de fauche et l'été dans l'alpage, est répandue dans toute la montagne alpine (bien qu'avec de multiples variantes), qu'il s'agisse de bovins, d'ovins, de caprins ou souvent de tous ces animaux ensemble». (12) Fabrice Mouthon, L'habitat montagnard à la fin du XVe siècle et au début du XVIe dans la vallée de Ceillac (Hautes-Alpes), Le Monde alpin et rhodanien. Revue régionaliste d'ethnologie, 2001, 29-4, pp. 45-70. (13) Hélène Viallet, Les alpages et la vie d'une communauté montagnarde : Beaufort du Moyen Âge au XVIIIe siècle, Mémoires et documents publiés par l'académie salésienne, Documents d'ethnologie régionale No 15, 1993, 275 p., pp. 53 et 243. (14) Prunelle de Lierre, Voyage à la partie des Montagnes de Chaillot-le-Vieil près la vallée de Champoléon en Dauphiné, Observations sur la physique, sur l'histoire naturelle et sur les arts, vol. 25, 1784, 480 p., pp. 174-190, p. 181, note 1. (15) Louis Francesetti (Comte de Mezzenile), Lettres sur les vallées de Lanzo, Turin, 1823, VII p. + 143 p., p. 25. (16) Les vallées vaudoises sont une région principalement francophone du Piémont italien, formée par la vallée alpine de Pellice et par celle du Chisone, son affluent. (17) J.-A. Chabrand et A. De Rochas d'Aiglun, Patois des Alpes Cottiennes (briançonnais et vallées vaudoises), Maisonville et fils et Honoré Champion, 1877, p. 92. (18) E. Guigues, Annuaire du Club Alpin Français, vol. 5, 1879, p. 238, chap. X, « Aux environs d'Embrun (Hautes-Alpes) », pp. 237-243. (19) Philippe Arbos, La vie pastorale dans les Alpes françaises. Étude de géographie humaine, A. Colin, 1923, 716 p., p. 388. (20) André Allix, Un pays de haute montagne: l'Oisans. Étude géographique, Impr. Allier père et fils, 1929, 915 p., p. 332. (21) Sylvie Lejeune, André Pégorier (1918-2004), Nouvelle revue d'onomastique, année 2004, 43-44, pp. 294-295. Pour imprimer, passer en format paysage © Christian Lassure Référence à citer / To be referenced as : Christian Lassure |