VERS LA FIN DU MYTHE DES MURS ET CABANES
EN PIERRE SÈCHE GAULOIS
DU PLATEAU DES CÔTES DE CLERMONT DANS LE PUY-DE-DÔME ?
IS THE MYTH OF THE GAULISH DRY STONE HUTS AND WALLS
OF THE PUY-DE-DÔME, CÔTES DE CLERMONT PLATEAU, HEADED
FOR HISTORY'S DUSTBIN?
Christian Lassure
La SAUVERA est une association auvergnate qui
s'occupe de prospections et de sauvetages archéologiques dans la région de
Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Le numéro 5 du journal électronique publié par
cette société comporte des éléments susceptibles de retenir l'attention de ceux
qui s'intéressent à l'évolution des idées dans l'étude des constructions rurales
en pierre sèche :
- d'une part le compte rendu d'une visite de l'archéologue Michel Collardelle
sur le plateau des Côtes de Clermont, présenté par une certaine école locale
comme étant le site de Gergovie, la célèbre bataille de la guerre des Gaules ;
- d'autre part un hommage rendu à Paul Eychart, fouilleur des vestiges en pierre
sèche (murailles, cabanes) et autres du site, décédé le 14 juin 2005 et dont la vie
et l'action sont retracées à grands traits.
Ayant eu dans le passé l'occasion de nous pencher
sur le dossier du parcellaire lithique du plateau des Côtes, nous reproduisons
ci-dessous cette relation et cette notice nécrologique, en y ajoutant quelques
notes et commentaires de notre cru pour leur bonne compréhension.
LES CÔTES DE CLERMONT
Michel Collardelle a tenu à dire toute la considération qu’il avait pour Paul
Eychart, décédé la semaine précédente, qu’il tient pour un « amateur »
d’archéologie au sens de celui qui aime, un chercheur bénévole et passionné,
qui a beaucoup œuvré pour la connaissance et la reconnaissance de ce site.
À la demande de Paul Anglaret, président de l’ASCOT, nous avons observé une
minute de silence en sa mémoire.
L’ASCOT a permis de faire arrêter la carrière et
a acquis des terres pour préserver le site, qui s’étend sur 5 communes et 150
hectares. Malheureusement, d’un point de vue archéologique, seul le temple est
classé à l’inventaire des monuments historiques. Mais Clermont Communauté a pris
la décision d’interdire l’accès du site aux quads et aux motos.
Une discussion s’est engagée entre les deux hommes
concernant le fait que la bataille de Gergovie se soit déroulée ou non sur ce
plateau. Michel Colardelle considère que tous les sites repérés comme tels par
Napoléon III ont été contestés (cf Alise-Sainte Reine). Cette contestation
s’explique par le fait qu’il s’agit d’une décision prise par le pouvoir central,
donc mal vécue localement. Car si le Second Empire a créé l’identité nationale,
il a aussi contribué, en réaction, au renouveau de l’identité régionale, qui se
marque par la fixation des costumes, des langues... . Les « autochtones »
considèrent donc qu’ils sont plus à même d’identifier le site historique local
que le pouvoir central. Par ailleurs, les murs de pierre visibles sur le
plateau ne peuvent être des murs de défense gaulois, car 2000 ans plus tard
ces murs seraient forcément détruits. Il s’agit donc plutôt de murs destinés
à limiter des parcelles agricoles, qui peuvent peut-être reposer sur des
bases plus anciennes. Le grand mur nord avec des contreforts, situé dans la
pente, pourrait correspondre à de grandes parcelles en longueur, situées du
haut en bas de la pente, permettant un étagement des cultures. Les « petites
cabanes gauloises » situées sur le plateau, quant à elles, seraient plutôt des
bories, des « capitèles » destinées à des bergers (1). Seule une étude précise
des archives, des toponymes médiévaux et des prospections systématiques tant sur
le plateau que sur les pentes, pourraient permettre d’enrichir les connaissances
scientifiques et d’infirmer ou de confirmer les hypothèses avancées (2). Quoi
qu’il en soit, l’essentiel n’est pas la polémique, mais de reconnaître l’importance de
cet oppidum gaulois, de le protéger et de le mettre en valeur.
Brigitte Boudriot
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(1) Remplacer le mythe de la cabane en pierre sèche gauloise
par celui de la cabane de berger ne nous rapproche guère d'une compréhension
authentique de l'histoire des terroirs agricoles aux XVIIIe et
XIXe siècles. Borie dans le sens de « cabane en pierre sèche » est
une invention d'érudit provençal, capitèle doit être confiné aux constructions
de la guarrigue nîmoise. La plupart des cabanes en pierre sèche sont le fait de
défricheurs et de cultivateurs, rares sont les cabanes de berger, et souvent
des réutilisations tardives.
(2) Cela a été fait dès 1933, cf Pierre-François Fournier,
Les ouvrages de pierre sèche des cultivateurs d'Auvergne et la prétendue
découverte d'une ville aux Côtes-de-Clermont [Puy-de-Dôme], dans L'Auvergne
littéraire et artistique, No 68, 10e année, 1933, 3e
cahier, pp. 5-34 et figs. I à XXXIX.); de nouvelles mises au point devaient
suivre en 1949, 1970 et 1983 : cf Pierre-François Fournier, L'archéologie en
Auvergne, depuis la protohistoire, recherches et problèmes, dans Compte
rendu du 68e Congrès de l'Association française pour l'avancement
des sciences, Clermont-Ferrand, 1949, pp. 117-126, en part. pp. 124-125 ;
Emile Desforges, Gabriel Fournier, Pierre-François Fournier, Jean-Jacques Hatt,
Franck Imberdis, Nouvelles recherches sur les origines de Clermont-Ferrand,
Institut d'Etudes du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1970, en part. pp. 403-406 ;
Pierre-François Fournier, Éléments pour servir à la bibliographie de l'architecture
rurale de l'Auvergne, dans L'architecture vernaculaire, t. 7, 1983,
pp. 11-19.
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Le plateau de Gergovie (ou plaine
selon la terminologie locale) à la fin de l'Ancien Régime au moment de son partage
en trois lots (ou « triage
») : jusque là il s'agissait d'un communal servant
de pacage au seigneur et aux habitants de Merdogne (Source : Pierre-François Fournier,
Les ouvrages de pierre sèche des cultivateurs d'Auvergne et la prétendue découverte
d'une ville aux Côtes-de-Clermont [Puy-de-Dôme], dans L'Auvergne littéraire et
artistique, No 68, 10e année, 1933, 3e cahier, pp. 5-34 et figs. I à XXXIX.). |
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Nouvel avatar : le même plateau, après
lotissement et défrichement à la fin du 1er quart du XIXe siècle : un parcellaire
lithique s'est constitué (Source : Pierre-François Fournier, op. cit.). |
L'HOMMAGE À PAUL EYCHART
La SAUVERA se devait de rendre hommage ici à un éminent archéologue régional,
Paul Eychart, qui nous a quittés le 14 juin 2005, dans sa quatre-vingt-dixième
année.
En effet, la SAUVERA a eu à plusieurs reprises
l’occasion de rencontrer ce personnage et de l’écouter développer avec passions
ses thèses concernant le site des Côtes de Clermont, lieu où se serait selon lui
déroulé la bataille de Gergovie : il est venu en 1991 donner une conférence à
Cournon, au cinéma (justement nommé « Le Gergovie » !), il nous a emmené sur
les côtes de Clermont nous rendre compte in situ, Gilbert a fouillé pour lui,
notamment à Trémonteix, … . En 2002, plusieurs membres de la SAUVERA ont également
participé à la reprise de ses fouilles par Bernard Clémençon sur les Côtes de Clermont.
Enfin, quelques jours avant son décès, Paul Eychart a invité Gilbert à lui rendre
visite parce qu’il sentait son départ proche, et qu’il souhaitait « léguer »
ses connaissances à un confrère.
Professeur de dessin à Blaise Pascal et à l’école des
Beaux-arts de Clermont-Ferrand, Paul Eychart, s’est d’abord consacré à la peinture
et est devenu un artiste reconnu dès les années 30. Après la seconde guerre, durant
laquelle il a été prisonnier puis résistant, il commence à s’intéresser à l’archéologie
et plus particulièrement aux Côtes de Clermont (1). Il se lance dans les études d’histoire
et de latin, tenant à traduire lui-même les textes de César, et obtient un doctorat
d’histoire, mention archéologie. Parallèlement, il entreprend dès 1952 des fouilles
sur le site des Côtes de Clermont, où il met au jour les vestiges d’un oppidum gaulois.
Sa vie est ensuite essentiellement consacrée à ce combat pour la reconnaissance de ce
lieu en tant que véritable site de la bataille de Gergovie. Certains se sont ralliés à
sa thèse, et non des moindres (Christian Goudineau, Gabriel Montpied, le sénateur Guérin,
Jack Lang, …) (2), tandis que d’autres l’ont vilipendé (les tenants de Merdogne) (3).
Cette polémique a longtemps divisé le monde archéologique local, et n’a pas tout à fait
disparu, même si la récente reprise de fouilles sur les deux sites, par des personnes
extérieures, a permis de renouer le dialogue.
De 1962 à 2004, Paul Eychart a écrit sept livres sur ce sujet, de « L’oppidum
des Côtes » à « César est entré dans Gergovie ». Il a aussi
créé une association, l’Ascot, en 1990, afin de préserver les richesses archéologiques
et naturelles du site des Côtes des destructions entraînées par l’exploitation de la
carrière et des autres dégradations.
Il restera dans les mémoires comme un érudit, un
passionné, un amateur d’archéologie au sens de celui qui aime et qui a à cœur
de faire partager ses idées.
Brigitte Boudriot
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(1) S'il fut le fouilleur de l'oppidum gaulois du plateau
des Côtes, Paul Eychart n'en fut pas l' « inventeur » : ce titre de
gloire douteux revient au peintre Maurice Busset en 1933 (cf supra).
(2) À cette liste il convient
d'ajouter Kléber Rossillon, le président de la FNASSEM, auteur d'un tonitruant
discours lors de l'inauguration d'une stèle à la mémoire de Paul Eychart en
2006 : "Seulement, il y a un problème : nous honorons ce soir un réprouvé.
Pas par sa ville, qui a toujours reconnu Paul Eychart et qui fut seule à aider ses
recherches. Mais par les autorités de l’Etat, de l’Université, du Ministère de la
Culture. Des autorités qui mentent. Je dis bien qu’elles mentent. Si, il y a fort
longtemps, elles s’étaient simplement et sincèrement trompées, elles savent bien
qu’elles ont transformé l’erreur en mensonge, écrit en lettres énormes sur des
panneaux d’autoroute, et répété aux étudiants, jusqu’aux écoliers dans l’insouciance
et la confiance de leur sortie de fin d’année. Et, pour qu’il soit bien complet,
ce mensonge est parachevé d’un faux, commis il y a peu d’années au moment où le
petit groupe qui contrôle les institutions de l’archéologie française a cru que
Paul Eychart était suffisamment vieux et marginalisé pour que ses protestations
– pourtant portées par son esprit toujours supérieur et lumineux – n’aient plus
d’écho." (Source : http://www.gergovie.fr/htmfr/affaire.html).
(3) À notre avis, savoir si Gergovie
est à Merdogne ou aux Côtes n'est pas une grande affaire, sinon pour les intérêts
touristiques qui exploitent le site officiel ou pour les groupes de pression qui
revendiquent l'autre site. Ce débat fait passer à la trappe les deux millénaires
d'histoire du plateau, et en particulier les défrichements mal connus du Moyen Âge
et le lotissement et la conquête agricole consécutifs à la Révolution. À attribuer
à l'Antiquité les cabanes d'agriculteurs et les murs de soutènement agricoles du
XIXe siècle, on ne fait que se déconsidérer.
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Des cabanes de cultivateurs auvergnats
du XIXe siècle en fond de bataille de Gergovie : ou comment dès le départ se tirer
une flèche dans le pied pour les tenants de Gergovie aux Côtes de Clermont. |
Pour imprimer, passer en format paysage
To print, use landscape mode
© Christian Lassure
Le 2 octobre 2006 / October 2nd, 2006
Référence à citer / To be referenced as :
Christian Lassure
Vers la fin du mythe des murs et cabanes en pierre sèche
gaulois du plateau des Côtes de Clermont dans le Puy-de-Dôme ? (Is the myth
of the Gaulish dry stone huts and walls of the Puy-de-Dôme, Côtes de Clermont
Plateau, headed for history's dustbin?)
http://pierreseche.chez-alice.fr/mythe_cotes-de-clermont.html
2 octobre 2006
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