UNE  BELLE LÉGENDE RURALE PREND L’EAU : L’AIGUIER VAROIS

ANOTHER RURAL LEGEND IS LETTING IN WATER: THE VAROISE "AIGUIER" (OR WATER STORAGE TANK)

Christian Lassure

 

À plusieurs reprises, dans le passé, des correspondants des Alpes-Maritimes et du Var ont attiré mon attention sur la fable propagée dans ce dernier département selon laquelle les aiguiers locaux récupéraient l’eau de pluie par les interstices entre les pierres de leur voûte clavée. Cela ne faisait jamais qu’une ridicule légende de plus dans un domaine d’étude qui, depuis sa constitution,  en a vu apparaître un grand nombre (1) et qui, même à l’heure actuelle, continue d’en susciter de nouvelles.

Dans l’espoir (vain) que cette légende serait refutée par des chercheurs de ces départements, je m’étais abstenu de réagir et d’en montrer le caractère absurde. Mais rien n’est venu. Me voici donc contraint d’intervenir au risque de me faire accuser, par le propagateur varois de cette fable, comme à son habitude, de « parisianisme » caractérisé (2).

Quel est donc, dans le détail, cette affirmation saugrenue selon laquelle le Var aurait un type particulier d’aiguier prenant l’eau (c’est le cas de le dire) par la voûte ? Elle est exposée à la page 11 du livre « Cabanes en pierre sèche de la Provence littorale. Le Var », paru en décembre 1995. Je cite :
« Dans la région de St Saturnin d’Apt dans le Vaucluse, il existe un type particulier de bories qui furent construites en pierre sèche, comme une borie classique, mais sur une dalle rocheuse naturelle, où a été creusée une citerne. Des canaux, creusés sur la dalle calcaire en pente, drainaient les eaux de pluie vers la citerne, sous la borie. Ce type de cabane appelé « Aiguier » dans la région du Luberon, se retrouve chez nous. La seule différence avec l’aiguier du Vaucluse, c’est que le type varois (lui aussi construit en pierre sèche sur une cuvette rocheuse naturelle) ne possède pas de canaux creusés pour amener l’eau de ruissellement. C’est la voûte qui était construite différemment de celle des cabanes-abris : les pierres n’étaient pas posées horizontalement avec une légère pente vers l’extérieur, pour éviter à l’eau de pluie d’entrer dans la cabane, mais étaient posées verticalement et se tenaient mutuellement les unes aux autres, afin de laisser couler l’eau de pluie dans la cabane et remplir la citerne naturelle. C’est le type de la « voûte « clavée », qui est beaucoup plus fragile que la fausse voûte en encorbellement. C’est pour cette raison qu’elles sont presque toutes écroulées, et qu’il n’existe que de rares aiguiers varois entiers. »
Cette courte description est assortie, à la page 14, d’un dessin représentant la coupe verticale d’un tel aiguier : la pluie qui tombe est figurée par des traits verticaux au-dessus de la voûte clavée, les gouttes qui suintent sont accompagnées par des flèches la pointe en bas (de quoi convaincre les plus sceptiques...).

Tout d’abord, il convient de remarquer que la commune de Saint-Saturnin-d’Apt, contrairement à ce qu’affirme l’auteur, n’est pas dépourvue d’aiguiers à voûte clavée. À preuve celui photographié par M. Dominique Repérant et publié dans mon livre « Cabanes en pierre sèche de France » à la page 116. De plan rectangulaire, il est couvert d’une voûte en berceau extradossée de niveau au moyen d’une épaisse couche de caillasse. L’eau, drainée par une rigole depuis un impluvium, alimentait la citerne intérieure en passant par l’entrée, système d’adduction similaire à celui rencontré dans les aiguiers à voûte d’encorbellement.

© Dominique Repérant

Aiguier à Saint-Saturnin-d'Apt (Vaucluse) :
- ci-dessus, la façade et le sommet de la voûte extradossée,
- ci-dessous, la voûte clavée, en forme de berceau, dévoilée par un effondrement résultant de la pousse d'un arbre.

© Dominique Repérant

Cet exemple démontre, s’il en était besoin, que le voûtement de l’aiguier, qu’il soit soit encorbelé ou clavé, ne joue aucun rôle dans la récupération de l’eau. Ce rôle est dévolu soit à un impluvium plus ou moins proche (grande dalle rocheuse, chemin) qui collecte l’eau et la dirige vers l’aiguier par le biais de rigoles, soit à une couverture de lauses ou de dalles posées sur la voûte et qui recueille l’eau de pluie et la dirige vers un orifice réservé dans la voûte.

En aucun cas, la récupération ne se fait par l’infiltration de l’eau de pluie en travers des interstices de la voûte clavée. Si l’eau de pluie passe à travers la voûte, c’est que celle-ci a perdu son étanchéité. Quand bien même un tel dispositif aurait été échafaudé, la quantité d’eau recueillie aurait été négligeable et n’aurait pas permis d’alimenter la citerne.

Il reste donc au tenant varois de la voûte d’aiguier qui prend l’eau, à chercher les raisons pour lesquelles ses aiguiers n’ont pas d’impluvium et par quels moyens ils étaient alimentés (toiture de lauses avec gouttière en tuiles canal, les lauses ayant été retirées à l’abandon de l’édifice ou volées par quelque amateur ?) (3).

NOTES

(1) Cf. sur le site www.pierreseche.com les divers articles consacrés aux mythes de l’architecture en pierre sèche.

(2) Affection bien connue qui se déclenche dès qu’un Parisien ose émettre une critique à l’égard d’un spécialiste varois de la pierre sèche.

(3) Une prise de conscience de l’énormité d’une telle fable se fait jour dans l’article « Eau – pierre sèche et colline » publié dans le bulletin No 3 (2001) de l’Association pour la sauvegarde du patrimoine en pierre sèche du Var. Dans un développement consacré aux aiguiers, l’auteur, pris de doute, dit que les voûtes clavées « pouvaient peut-être laisser passer l’eau de pluie à l’intérieur grâce à des drains venant de la colline ou des restanques situées au dessus », ou encore que « des rigoles d’écoulement des eaux de pluie pouvaient également être faites à l’aide de tuiles ‘romanes’ depuis le sommet de la coupole à l’extérieur jusqu’à l’intérieur pour remplir la citerne » (p. 29). Un dessin figurant la coupe verticale d’un aiguier à voûte clavée associe infiltration par la voûte et adduction par rigole latérale.


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© Christian Lassure

Le 15 décembre 2006 / December 15th, 2006

 

Référence à citer / To be referenced as :

 

Christian Lassure

Une belle légende rurale prend l'eau : l'aiguier varois (Another rural legend is letting in water: the varoise "aiguier" (or water storage tank)

http://pierreseche.chez-alice.fr/mythe_aiguier_varois.htm

15 décembre 2006

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