FOULOIR À RAISIN ET CUVE DE FERMENTATION RUPESTRES

SOUS UNE CABANE EN PIERRE SÈCHE

AU LIEU-DIT LES BOUJOLLES À GORDES (VAUCLUSE)

 

Rock-hewn grape treading pool cum fermenting vat inside a dry stone hut

at the place called Les Boujolles at Gordes, Vaucluse

Christian Lassure

Le 27 avril 2014, Bradley Kuett, l'auteur du blogue Provence Ventoux, publiait un article (en anglais) intitulé Gordes: Relics of Ancient Winemaking; Stone Cabins Called Bories Outfitted with Wine Vats Hollowed out of Rock (1). Il y décrivait, photos à l'appui, ce que Pierre Desaulle appelait « poste de vinification » (2), c'est-à-dire un fouloir à raisin couplé à une cuve de fermentation, qui sont l'un et l'autre creusés dans la molasse burdigalienne tendre, ou safre (3), et protégés par une cabane en pierre sèche. L'ensemble se trouve au lieu-dit Les Boujolles sur la commune de Gordes dans le département du Vaucluse. Il nous a paru utile de faire connaître ce type d'installation associant récipients rupestres et  maçonnerie à pierre sèche en reprenant et légendant quelques-unes des photos de l'article initial.

La cabane proprement dite relève du type constructif le plus courant à Gordes, celui de la nef gordoise, formée par quatre murs encorbellés – deux longs, les goutterots, et deux courts, les pignons – symétriquement opposés deux à deux et dont les sommets encadrent un vide couvert par un plafond de grandes dalles (4). L'entrée s'ouvre dans un des pignons, dans l'axe longitudinal de l'édicule.

Fig. 1 - La cabane en pierre sèche abritant le fouloir à raisin et la cuve vinaire. Il faut imaginer l'entrée fermée par une porte en bois, aujourd'hui disparue. © Bradley Kuett.

 

Fig. 2 - Le fouloir à raisin de plan quadrangulaire creusé dans la molasse calcaire. Il servait à séparer le jus de raisin, de la peau et des rafles (les grappes sans les raisins). Un conduit percé sous le rebord du fouloir conduisait le jus de raisin, ou moût, dans la cuve. © Bradley Kuett.

 

Fig. 3 - Le fouloir suivi de la cuve de vinification. Une rigole, taillée dans la roche, entoure le rebord de la cuve et semble passer sous la maçonnerie sèche. On raconte qu'elle servait à évacuer d'éventuelles eaux de ruissellement hors de la cabane. © Sacha Kisling.

 

Fig. 4 - La cuve cylindrique creusée dans la molasse calcaire. Le moût y était laissé à fermenter sous la protection d'un couvercle. © Bradley Kuett.

 

Fig. 5 - Contre le goutterot aval, la tranchée abritant le dispositif de soutirage au droit de la cuve, là où débouche le conduit amenant le jus fermenté. L'emplacement est protégé par une grande dalle. © Bradley Kuett.

 

Fig. 6 - Le trou extérieur du conduit où l'on recueillait dans des récipients le jus fermenté pour le  transporter au village ou au mas. © Bradley Kuett.

L'installation à usage temporaire décrite ici fait partie des quelque 80 cuves vinaires recensées par l'archéologue Michel Bouvier entre 1983 et 1993 sur le terroir de l'appellation Ventoux entre Venasque et Bonnieux (plus exactement sur les communes de Venasque, Le Beaucet, Saint-Didier, Saumane, Fontaine de Vaucluse, Cabrières d’Avignon, Lagnes, Ménerbes, Murs, Gordes, Saint-Pantaléon, Goult and Bonnieux) (5). Toutes ces cuves ne sont pas protégées par une chape en pierre sèche, certaines bénéficient simplement de la protection d'un abri sous roche ou d'un mur en pierre sèche.

L'Internet recèle d'autres exemples de fouloir-cuve vinaire rupestre en Vaucluse :
- toujours à Gordes, au lieu-dit Les Savournins Bas (alias le pseudo « Village des Bories ») ;
- à Saumane-de-Vaucluse, dans le vallon de Vignerme ;
- à Ménerbes, au lieu-dit Les Hauts Artèmes ;
- à Venasque, dans le vallon de Carroufa, au lieu-dit La Lauze.

Fig. 7 - Venasque, vallon de Carroufa, lieu-dit La Lauze : cabane en pierre sèche bâtie à cheval sur une falaise de molasse calcaire dans laquelle ont été creusés un fouloir et sa cuve vinaire ; le constructeur a tiré parti d'une retraite dans la falaise pour y asseoir la partie aval de l'édifice ; la parcelle au sommet de la roche a été créée au moyen d'une restanque bordant le haut de la falaise. Photo Jean-Marc Rosier sur Wikipedia Commons.

 

Fig. 8 - Venasque, vallon de Carroufa, lieu-dit La Lauze : d'avant en arrière, le fouloir et la cuve  creusés dans la molasse (les stries obliques ornant l'intérieur des dispositifs sont celles laissées par l'outil du tailleur de pierre) ; le conduit pour le moût est bien visible. Photo Jean-Marc Rosier sur Wikipedia Commons.

On a proposé pour nos cuves vinaires une datation s'étalant sur les périodes froides des deux derniers millénaires, périodes où les plateaux calcaires étaient plus humides et donc favorables à la viticulture : du Ve au VIIIe siècle, du XIIe au XIIIe siècle et du XVIe au XIXe siècle (6). Hélas, le raisonnement climatologique n'est pas un moyen de datation ; il ne remplace pas l'enquête orale auprès des propriétaires du bien, ni la consultation du cadastre napoléonien, ni le dépouillement d'archives notariales et la recherche de prix-faits. Pour l'exemplaire qui nous intéresse ici, une cabane bâtie sans mortier qui perdure depuis le XVIe siècle, cela constitue une longévité qui défie l'imagination... sans parler du sens commun.

NOTES

(1) Bradley Kuett, Gordes: Relics of Ancient Winemaking; Stone Cabins Called Bories Outfitted with Wine Vats Hollowed Out of Rock, Provence Ventoux Blog, April 27, 2014. Lien : http://provenceventouxblog.com/2014/gordes-relics-of-ancient-winemaking-stone-cabins-called-bories-outfitted-with-wine-vats-hollowed-out-of-rock/

(2) Cf. Christian Lassure,  Les couvrements utilisant l'encorbellement, sur pierreseche.com, 26 février 2002. Lien : ttp://www.pierreseche.com/couvrements_utilisant_l_encorbellement.htm

(3) La molasse burdigalienne de Gordes, d'époque Miocène, fait partie des molasses provençales, ou pierres tendres, utilisées autrefois dans la construction et l'ornementation. Facile à travailler et durcissant à l'air, elle se prêtait au creusement de cuves à l'aide d'une pointe.

(4) Pierre Desaulle, Les bories de Vaucluse. Région de Bonnieux. La technique, les origines, les usages, Éditions A et J. Picard, Paris, 1965, 271 p., pp. 156-158.

(5) Michel Bouvier, Cuves vinaires rupestres en Vaucluse, Archipal, n° 27, Apt, 1990, pp. 10-27 ; Cuves vinaires dans la région d'Apt, Archipal, n° 35, Apt, juin 1994, pp. 73-79.

(6) Voir « Les cuves vinaires rupestres en Vaucluse », chroniques d'Archipal avec France Bleu Vaucluse,  sur le site de la revue Archipal, 19 août 2017. Lien : http://archipal.pagesperso-orange.fr/chroniques1.htm#13


Pages connexes à consulter sur pierreseche.com

- Les pressoirs en plein champ de la province de Pescara (Italie)
Lien : http://www.pierreseche.com/AV_2010_micati_fr.htm

- Cuviers en pierre sèche de la garrigue de Nîmes (Gard)
Lien : http://www.pierreseche.com/cabanes_et_cartes_postales_28.htm

- Le « tinal » ou cellier dans les vignes en Ardèche méridionale (compte rendu)
Lien : http://www.pierreseche.com/compte_rendu_tinal.htm

- Antiche vasche di pigiatura in Comune di Pietranico (Pescara)
Lien : http://www.pierreseche.com/nouvelles_du_monde_2008_2.htm#10_micati


© Christian Lassure
13 novembre 2017 / November 13th, 2017

Référence à citer / To be referenced as :

Christian Lassure
Fouloir à raisin et cuve de fermentation rupestres sous une cabane en pierre sèche au lieu-dit Les Boujolles à Gordes (Vaucluse)  / (Rock-hewn grape treading pool cum fermenting vat inside a dry stone hut at the place called Les Boujolles at Gordes, Vaucluse)
http://pierreseche.chez-alice.fr/fouloir-cuve_vinaire_gordes.htm
13 novembre 2017

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