LA DEUXIÈME MORT DES CABANES EN PIERRE SÈCHE THE SECOND DEMISE OF DRY STONE HUTS par Christian Lassure |
Sont morts les bâtisseurs ! Mistral L’inscription « Nous passerons mais ces pierres resteront », trouvée naguère par André Cablat dans une cabane en pierre sèche du Larzac (1), est comme la traduction populaire des paroles du grand écrivain provençal. Cet aphorisme anonyme participe de l’illusion, entretenue par des générations d'érudits, selon laquelle les cabanes en pierre sèche bénéficieraient d’une ancienneté et d’une perdurance hors du commun : cabanes néolithiques, gauloises, romaines, mérovingiennes, médiévales, vaudoises, etc. Des cabanes multiséculaires au « Siècle des cabanes » De l'oubli au retour en grâce Restauration rapide ou restauration scientifique ? Les cabanes en pierres sèches victimes de leur succès Lorsqu’elles ne sont pas engagées pour figurer dans quelque sentier de la pierre sèche ou pour servir de toile de fond aux photographies de mariage, les cabanes survivantes ont, elles aussi, leur lot de curieux, dont le passage va se traduire par la dégradation des abords, sinon de l’édifice lui-même. Ainsi, dans les Alpes-de-Haute-Provence, la voûte en berceau d’une bergerie aux Fraches du Contadour à Redortiers est taguée comme une rame du métro parisien. De même, en Côte-d’Or, la « Cabane du Vacher » à Magny-Lambert, avec son étage et son colimaçon intérieur, a perdu quelques pierres de faîte, jetées en vrac devant l’entrée. Ici et là, des cabanes perdues en pleine nature se retrouvent, par la grâce d’un visiteur aux velléités restauratrices, gratifiées d’un épi de pierre en queue de poire, censé faire plus authentique. D’autres voient leur arc de décharge au-dessus du linteau, muré de pierres par quelque passant sans doute pris de peur que ce trou ne soit l’amorce d’un éboulement. D'autres encore, dont le linteau ou la dalle fermant la voûte arbore un millésime, voient les chiffres de ce dernier grattés, recreusés, barbouillés de terre, pour la photo : le 3 se transforme en 8 ou inversement, le 5 se mue en 3 ou vice versa, le 7 rétrograde à 1 quand ce n'est pas le contraire, etc. Résultat : le millésime devient inexploitable pour la datation du bâtiment. Et comment ne pas aborder la question de la perte de leur toiture de lauses par nombre de cabanes depuis l’abandon de la parcelle où elles se trouvent : lauses récupérées à cause de leur valeur marchande soit par le propriétaire, soit par quelque entrepreneur en maçonnerie. C’est l’avatar survenu à l’une de deux cabanes cylindro-coniques, en grès rouge, situées à Saint-Jean-de-la-Blaquière dans l’Hérault et appartenant au même cultivateur : elle est désormais réduite à l’état de ylindre. Devant toutes ces vicissitudes, la devise qui s’impose désormais à l’égard des cabanes en pierre sèche, c’est non pas « Nous passerons mais ces pierres resteront » mais plutôt « Nous passerons, ces pierres y resteront ». Pour une véritable politique de conservation architecturale Il est urgent que les institutions officielles dont la raison de vivre est la préservation du patrimoine architectural, abandonnent leur politique de non intervention et engagent des programmes d’étude et de conservation des témoins architecturaux les plus marquants (musées de plein air, démontages et transferts). Faute de cela, les cabanes de pierre sèche disparaîtront définitivement du paysage. Le « Siècle des cabanes » ne sera plus qu'un souvenir dans les livres. NOTES (1) André Cablat, Les cabanes de défricheurs du Larzac héraultais (baracous, caselles, masets, baumas), dans L’Architecture vernaculaire rurale, t. 4, 1930, pp. 85-93, en part. p. 21. (2) La Gazette, No 822, du 19 au 25 mars 2004. |
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© Christian Lassure Le 27 mai 2004 / May 27th, 2004
Référence à citer / To be referenced as :
Christian Lassure 28 juin 2004
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